Cet entrepreneur charentais s’est lancé dans un projet gigantesque. Un pari complètement fou qu’il vient de remporter !
Peut-être connaissez-vous cette citation : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », de l’écrivain américain Mark Twain. C’est à l’image de ce qu’est en passe de réaliser Dominique Poupeau, entrepreneur charentais chevronné. En parallèle de l’entreprise qu’il a créée il y a cinq ans, il a racheté une friche industrielle désaffectée de 28 000 m² sur sept hectares à La Couronne, qu’il réhabilite pour en faire un immense pôle d’entreprises. Un projet aussi démesuré qu’audacieux. Une interview passionnante. Découvrez dès à présent son parcours.
L’entrepreneur charentais : Dominique, pourrais-tu nous faire part de ton parcours jusqu’à la création de ton entreprise ?
Dominique Poupeau : Je suis né le 6 janvier 1972 à Cognac. J’ai vécu toute mon enfance à Bourg-Charente, un village qui se situe entre Cognac et Jarnac. Depuis tout petit, j’ai toujours aimé démonter les objets, faire des assemblages, dessiner. Ça m’a d’ailleurs mené à faire des études techniques. Plus précisément, j’ai obtenu un BEP, puis un CAP et enfin un bac pro, dans le domaine de l’électrotechnique.
« Je suis toujours émerveillé par l’être humain à la naissance, qui devient ensuite un super ingénieur. L’Homme est quand même une machine de fou. »
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu travailler, gagner ma vie, devenir indépendant. C’est pour cela qu’une fois mes diplômes en poche, j’ai décidé d’aller sur le marché du travail. Mon premier emploi, c’était dans une grande entreprise de Cognac. Mais ça ne m’a pas plu. On était au début des années 1990. Il y avait une grève. J’étais jeune, j’avais envie de travailler. Le contexte ne s’y prêtait pas. J’ai vite quitté l’entreprise.
Ensuite, une autre grande entreprise du Cognaçais m’a recruté en tant que conducteur de four. Puis, après quatre mois, il y a eu un plan de licenciement. J’ai profité de cette situation pour quitter l’entreprise. J’avais 22 ans, et une prime de départ en poche.
E.C. : Est-ce à ce moment précis que tu as créé ton entreprise ?
D.P. : Ma première vraie expérience entrepreneuriale. Oui. J’étais motard et j’avais constaté que c’était compliqué d’acheter ou de vendre une moto d’occasion. Il faut rappeler qu’il n’y avait pas les services et les sites Internet actuels. J’ai donc créé un dépôt-vente de motos d’occasion à Jarnac. C’était en 1996. J’avais 23 ans. Ça s’appelait Taz Moto. Le concept : je m’occupais de la vente de la moto en échange d’un billet de 500 francs. Ça a très vite fonctionné. Les clients venaient même des départements voisins. Au bout de deux ans d’activité, on était quatre dans l’entreprise et on vendait 600 motos par an.
Puis, en 1999, il y a eu la tempête qui a tout détruit. Malheureusement, j’étais mal assuré. J’ai quand même tout refait et réparé les motos en dépôt. En avril de l’année 2000, je rouvrais le magasin. Ce jour-là, une personne m’a proposé de racheter le fonds de commerce. Je n’avais plus d’argent suite à cette expérience. J’ai accepté l’offre.
Je suis ensuite parti à Bordeaux pour créer le même concept. J’ai rencontré une personne là-bas avec laquelle je me suis associé sur ce projet. On a trouvé un emplacement, on a fait des travaux. Puis une loi sur les grandes vitesses a eu pour effet de stopper le projet. J’ai pris cela comme un signe. J’ai décidé de suivre un autre chemin.
J’ai regardé les annonces dans le journal. J’avais un peu d’argent de côté de la vente du premier magasin. C’est comme ça que j’ai racheté un fonds de commerce qui mêlait informatique, Internet et téléphonie. Je me suis tellement ennuyé que j’ai revendu la boutique au bout de trois mois, en y laissant quelques plumes.
J’ai ensuite rencontré une personne qui recherchait un commercial en vin. J’adorais ce que représentait le vin, le partage, les rencontres. J’ai été recruté en tant que salarié payé à la commission. J’y suis resté trois mois… Le premier mois, on m’a formé. Je n’y connaissais rien. Le deuxième mois, j’étais le meilleur vendeur de mon secteur, à Bordeaux, sur une équipe de dix commerciaux. Le troisième mois, j’étais parmi les quatre meilleurs vendeurs de France sur 300 à 400 personnes. Et puis, n’ayant pas vu les commissionnements arriver, je suis parti.
J’ai ouvert le journal à nouveau. J’ai trouvé une annonce intéressante. Une entreprise recherchait un directeur technique à Paris. J’ai été recruté. C’était en 2002. J’avais 30 ans. Le dirigeant venait de racheter une petite société. Je suis très rapidement devenu son bras droit. Il m’a confié le développement de cette entreprise. J’en suis devenu responsable Europe. Au début, la boîte faisait un chiffre d’affaires de 200 K€. Après dix ans, elle avait atteint un CA de 5 M€. Elle était présente dans vingt-sept pays en Europe. Je voyageais 80 % de mon temps. J’ai découvert plein de personnes, de nouvelles cultures. C’était génial. J’ai pris beaucoup de plaisir. Mais, une fois que les projets de développement ont été mis en pause, j’ai décidé de quitter l’entreprise pour me mettre à mon compte une nouvelle fois.
E.C. : Comment s’est déroulée la création de ta société Futurinov ? Raconte-nous.
D.P. : Cela faisait deux ans que je réfléchissais à des inventions, que je dessinais des croquis. Au total, j’en ai eu trente en tête. L’idée était de pouvoir rebondir et créer ma société le jour où je me lasserais de mon emploi. Il fallait commencer par un produit, un projet, et mettre à profit mon réseau.
C’est comme ça que Futurinov est née, en septembre 2011. Cela a démarré avec la conception de Freazy, un système qui permet de garantir la chaîne du froid pour les consommateurs des grandes surfaces alimentaires, notamment pour les Drive.
J’ai eu beaucoup de contraintes relatives aux brevets, etc. Cela m’a pris beaucoup de temps. On m’a d’ailleurs dit que je ne devais pas espérer vendre mes produits avant deux ans. J’étais face à un vrai problème. On m’a alors conseillé d’avoir un « plan B », une roue de secours. Et le « plan B » est arrivé… assez bizarrement d’ailleurs.
J’avais décidé de présenter ma société Futurinov et son projet Freazy à des personnes qui m’avaient suivi depuis mes débuts. J’ai eu l’idée, pour cela, de faire une borne interactive.
J’ai utilisé les châssis qui me servaient pour Freazy. J’y ai ajouté un éclairage et un écran tactile. Quand ils ont vu ça, ils ont vraiment aimé. J’en ai même vendu deux ce jour-là. J’avais trouvé mon « plan B » !
C’est là que j’ai commencé à développer mon offre de bornes interactives faciles à monter, éco-conçues, recyclables en totalité, différentes des produits chinois du marché, fabriquées en France, garanties 3 ans, et moins chères. GrandAngoulême, CACC, La Poste, EDF sont devenus mes premiers clients.
E.C. : Quels ont été les autres faits marquants de ton entreprise ?
D.P. : Un jour, au gré d’une rencontre, on me propose de venir à un salon professionnel à Lyon. J’accepte. C’était en juin 2013. C’est là que j’ai rencontré le responsable commercial d’EDF France. Franchement, au départ, j’ai cru que l’on me faisait une blague. Je n’arrivais pas à y croire. Ils m’ont demandé de travailler sur un support pour leurs iPad destiné à leurs agences et à leurs salons professionnels. J’ai vendu une cinquantaine d’unités. Cela m’a montré que j’étais sur la bonne voie.
Autre fait marquant : j’ai obtenu le Prix de l’innovation technologique décerné par la Chambre des métiers en 2015. Cela m’a permis de rencontrer une personne d’une grande banque régionale qui est devenue cliente.
Pour l’anecdote, cinq années plus tard, Freazy n’est toujours pas commercialisé à ce jour. Même si je poursuis le travail de recherches et de développement. Il est en cours de tests et d’améliorations.
Aujourd’hui, Futurinov réalise un CA d’environ 300 K€ et compte trois personnes. Et j’ai plein de projets.
Futurinov : concepteur de bornes numériques tactiles design, éco-conçues, fabriquées en France.
CA : 300 K€
Effectifs : 3
E.C. : C’est quoi innover pour toi ? Et comment t’y prends-tu ?
D.P. : Pour moi, innover, c’est résoudre des problèmes. Apporter et combiner plusieurs éléments pour créer un nouveau système. Expérimenter. On innove sans le savoir… à l’image de cette personne qui travaillait près d’une antenne, qui a posé son sandwich à côté, et qui a découvert que ça le réchauffait. C’est l’histoire du micro-ondes.
Selon moi, il ne faut pas avoir de barrière. Il faut emprunter des chemins non conventionnels. Je ne peux pas m’empêcher d’analyser les situations et les objets qui m’entourent. J’aime chercher les failles, pour y trouver des solutions et les améliorer. D’ailleurs, je n’ai ni iPhone ni iPad. Je trouve ces produits trop parfaits. Ça me freine dans mon besoin d’innover.
E.C. : Tu as un projet gigantesque en Charente. D’où t’est venue cette idée (un peu folle) ? Peux-tu nous en parler ?
D.P. : C’est vrai. Je m’investis beaucoup dans un projet ambitieux. Celui de créer un campus d’entreprises à La Couronne.
À l’occasion de mes différents voyages, j’ai pu constater que les entreprises avaient intérêt à se regrouper. Qu’elles en sortiraient toutes gagnantes. Je crois à la mutualisation des efforts et des connaissances pour créer de nouvelles choses, et aider l’être humain à évoluer.
Pour mieux comprendre d’où me vient cette envie, il faut que je te raconte un truc. Quand j’étais gamin, on passait en voiture devant l’usine de la Saft, et je me disais qu’un jour ce serait à moi. Je rêvais d’avoir une usine, pour montrer que je savais bien travailler, une forme de réussite professionnelle. Ce lieu a toujours été un symbole pour moi. Pour cause, ça fait cinq hectares et il y a 15 000 m² de bâtiments.
Et puis, en me renseignant, j’ai appris que c’était à vendre. Je suis parvenu à l’acheter et à réaliser mon rêve de gosse ! En fait, je n’en ai été propriétaire que pendant une semaine.
Malheureusement, il y a eu des dégradations entre-temps. Et la vente a été annulée. Mais j’ai quand même réalisé mon rêve !
Et j’ai rebondi. J’ai trouvé un autre lieu. Encore plus grand ! En effet, en juillet 2014, j’ai racheté les papeteries de La Couronne, une friche industrielle de 400 ans d’histoire, qui s’étend sur sept hectares et compte 28 000 m 2 de bâtiments. Un lieu atypique, dégradé, mais qui a une âme et des fondations solides.
Je veux y créer un campus d’entreprises, un pôle de l’innovation, qui regroupe des entreprises plutôt techniques. À terme, il y aura une conciergerie, une salle de restauration, un parc arboré avec le wi-fi, plusieurs espaces de coworking, un terrain de sport, un showroom, une salle de phoning, des parties ateliers, des bureaux. Tout cela pour un loyer plus bas que celui du marché.
E.C. : Certains t’ont pris pour un fou, non ?! Ce projet ne t’a pas fait peur ?
D.P. : C’est vrai que ça peut donner cette impression vu de l’extérieur. Mais ce projet n’est pas si gigantesque (N.D.L.R. : 28 000 m 2 de bâtiments désaffectés…). J’ai commencé par une tranche de 3 000 m². Et tout doucement j’augmente la superficie en réalisant les travaux. Ça se fait au fur et à mesure. Heureusement, j’ai eu le soutien de ma famille, notamment de ma femme, et de mon père qui m’a aidé les premiers jours de la réhabilitation.
Et puis, le monde change autour de nous. On assiste à la désertification des centres-villes. Dans le même temps, La Couronne est à la périphérie immédiate d’Angoulême. J’offre 700 places de parking, à sept minutes de la gare… Mon projet est viable.
Le risque est réel et élevé. Mais je me dis que beaucoup de gens prennent bien plus de risques que moi. Mon projet reste réaliste et calculé. Pour tout dire, j’ai d’ores et déjà remporté mon pari. Aujourd’hui, le lieu compte dix entreprises locataires. Cela représente soixante-dix salariés. À terme, je pense que le lieu comptera une trentaine d’entreprises.
En fait, je ne pense jamais à l’échec ou à la mort. C’est même quelque chose qui me dérange dans les conversations. Pourquoi y penser ? Je ne l’occulte pas mais je ne comprends pas que l’on en parle. En parler, c’est déjà créer une faille dans son processus d’évolution. Je n’y pense pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas peur. Je suis ainsi fait. Je vois toujours le côté positif. Je ne sais pas faire autrement.
E.C. : Pour toi, Dominique, quel est le rôle d’un entrepreneur ?
D.P. : Pour moi, un entrepreneur est un peu comme une locomotive. D’une certaine façon, il guide. Il flaire les opportunités et va de l’avant. Il emprunte et crée une voie qui n’était pas balisée. Il participe à créer de nouveaux repères. Il doit collaborer au projet d’avenir.
Pour ma part, j’ai envie de servir ma région, le territoire où je suis né, où j’ai grandi, y laisser mon empreinte. Je pense même que c’est mon devoir. Peut-être est-ce un besoin de reconnaissance ? Je ne sais pas. J’ai aussi envie de créer de l’emploi. Je pense à mes enfants. Plus généralement, je me dis que leur avenir dépend de ce qu’on leur laisse, de ce que l’on fait aujourd’hui.
E.C. : Qu’as-tu envie de dire à celles et ceux qui ont peur du changement ?
D.P. : J’ai envie de leur dire que le propre de l’être humain est de toujours avancer, de s’adapter. Le Français a du mal à renoncer à certains acquis. Pourtant, on peut aller vers un mieux. Pour preuve, nos parents étaient moins avancés et riches que nous. On est toujours confrontés à des difficultés, et on ne sait pas comment on va faire pour y faire face. Mais l’être humain parvient toujours à trouver l’énergie pour aller toujours plus loin. Regardons devant nous, il y a une multitude de choses à faire évoluer. Prenons l’exemple d’Elon Musk qui nous sort une voiture électrique Tesla qui se vend à plus de 300 000 exemplaires en trois jours, certainement envers et contre les conseils avisés… Il faut aller vers l’inconnu.
La France sera un grand pays de production et de travail dans les prochaines années. Et je suis convaincu qu’elle s’en sortira mieux que l’Allemagne dans une dizaine d’années. La France a une culture, fait partie de ces pays qui sont à l’origine des évolutions de la planète. Nous sommes dans un cycle bas. Ce n’est pas la première fois. On a d’ailleurs pris un peu cher. Je crois qu’il y a un nouveau cycle qui s’amorce. Je vois un super bel avenir pour la France. Les jeunes sont cultivés, ont acquis de la connaissance. On me dit qu’il n’y a pas de croissance, mais je ne suis pas d’accord. Même si on ne progresse que de 1 % sur une année, on est quand même en évolution. Je crois que l’on va vivre une renaissance. On est toujours en mouvement, en évolution.
E.C. : Quand sauras-tu si tu as réussi ?
D.P. : « Je pense que je n’aurai jamais cette satisfaction-là. Je chercherai toujours un nouveau projet à mener. »
E.C. : Pour conclure, Dominique, y a-t- il une phrase ou un proverbe qui te donne de l’élan et t’aide à avancer ?
D.P. : Je repense à cette citation de François Ier, qui disait en parlant du Château de Chambord : « Si l’on se préoccupait trop de l’achèvement des choses, on n’entreprendrait jamais rien ». Aussi, je me répète souvent qu’il faut que je suive ma bonne étoile. Je me laisse porter par les rencontres, par les événements. Je ne me pose pas trop de questions. Le chemin se dessine tout seul devant moi. Je suis souvent amené à choisir des directions. Plutôt que de me lamenter à chaque échec, j’accueille la situation et je passe rapidement à autre chose. Je n’ai pas peur. Je suis ma bonne étoile.