À 55 ans, cette entrepreneuse charentaise crée son entreprise et, par la même occasion, son propre emploi, celui de son mari et de son fils.
Claude Albert, peut-être la plus bretonne des Charentaises, revient sur son parcours d’entrepreneuse après avoir soufflé la cinquième bougie de sa « petite entreprise », comme elle la décrit. Elle évoque ses difficultés, comme ses joies et ses espérances. À 60 ans cette année, cette entrepreneuse poursuit son aventure, devenue familiale.
Cette femme, petite par sa taille, à l’allure frêle, timide, vous regarde de ses yeux pétillants et rieurs, et vous répond d’une voix légère et douce, en s’excusant presque, avec une humilité touchante, et une bienveillance désarmante. La mer agitée qu’elle a traversée ne semble pas avoir eu de prise sur elle, à en lire les lignes de son visage, empreintes de sagesse et de sérénité. Un modèle de combativité et de ténacité. Voici son chemin.
L’entrepreneur Charentais : Claude, peux-tu nous parler de ton parcours, avant ton arrivée en Charente ?
Claude Albert : Je suis née en Loire-Atlantique, à Nantes, en 1957. Ma mère était préparatrice en pharmacie et mon père était concessionnaire Motobécane. J’ai un frère et une sœur, tous les deux plus jeunes que moi. Et quand j’étais petite, j’étais plutôt énergique… le clown de la famille, aussi étonnant que cela puisse paraître.
Je n’ai aucune formation. J’ai arrêté mes études à 16 ans, en première. En fait, si. J’ai suivi une formation qui mêlait cours par correspondance et cours à Nantes. Une place s’était libérée dans la pharmacie de mon village, où travaillait ma mère. J’y ai été apprentie durant cinq ans : trois ans de CAP et deux ans de brevet professionnel. À l’époque, c’était le parcours classique pour être préparatrice en pharmacie. C’était sympa d’être formée petit à petit. L’ambiance était très bonne. J’y suis restée pendant dix ans, jusqu’à l’âge de 26 ans, l’âge où j’ai rencontré mon mari, Pierre. Je l’ai ensuite rejoint à Paris. J’y ai fait des remplacements, toujours en tant que préparatrice en pharmacie. Nous y avons eu nos trois enfants. À un moment de notre vie, ona pas mal bougé. Pierre installait des machines dans l’industrie. Nous sommes allés au Mexique durant un an, puis en Italie une année de plus. À cette époque, j’avais 36 ans, je travaillais, je m’occupais des enfants, et on ne se voyait plus. C’était devenu trop compliqué. J’ai donc arrêté mon travail pour m’occuper de mes enfants. Nous sommes restés à Paris durant vingt-cinq ans.
L’entrepreneur Charentais : Comment t’est venue l’idée ou l’envie de créer ton entreprise à Angoulême ?
Claude Albert : Pierre a trouvé un emploi en Charente, chez Terreal, en 2009. Je ne connaissais pas du tout le secteur. J’ai repris un travail, toujours dans le métier que je connaissais. C’étaient des CDD ponctuels. Je m’investissais beaucoup et, au bout de six mois, c’était la fin du contrat, et ils prenaient quelqu’un d’autre. Après plusieurs CDD, j’ai arrêté. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose d’autre, de plus pérenne, que je me prenne en main, que je fasse quelque chose d’autre. Dans le même temps, un an après notre arrivée en Charente, Pierre a été licencié. Mon fils était graphiste de formation et n’avait pas de travail non plus.
J’ai toujours aimé faire des crêpes. J’adore ça ! (rires) C’était comme une évidence. J’aurais pu trouver un travail ailleurs, je pouvais repartir en Bretagne ou sur Paris, mais c’était comme ça. Et on se plaisait beaucoup en Charente. Le climat, la vie, sont agréables.
En réalité, je voulais créer mon entreprise depuis longtemps. Ça me tenait à cœur. C’était mis dans un petit coin de ma tête. Et puis, on se réunissait souvent avec des amis. Je faisais des crêpes. Et elles avaient toujours un véritable succès. C’était agréable. Toujours réussi. C’était drôle et convivial. Vraiment. Je me suis dit que ce serait bien d’en faire mon métier. J’ai créé mon entreprise il y a cinq ans. J’avais 55 ans.
E.C : Parle-nous de ton entreprise. Que propose-t-elle ?
C.A : Je prépare de la pâte à crêpe, à gaufre, et de la pâte à galette maison avec du blé noir charentais d’un petit producteur de la région qui fait de l’agriculture raisonnée. Je trouve que c’est bien de faire travailler les gens de la région. Tout est fait maison. Sucrées, salées, une multitude de préparations sont possibles. On a installé notre premier kiosque à Port l’Houmeau, sur les bords de la Charente, à côté des Bateaux Rouges. On est arrivé ensemble. Mais ce n’était que l’été. On a donc décidé de trouver un autre emplacement, sur la place Marengo, en centre-ville d’Angoulême, pour pérenniser l’activité sur toute l’année. On est présent de 11 heures à 19 heures du mardi au dimanche compris. On a également une place aux Chais Magelis. Au total, on a aujourd’hui deux kiosques mobiles sur trois emplacements, selon les périodes de l’année. Enfin, on se déplace chez les particuliers pour des fêtes de famille, et on propose nos services aux entreprises pour leurs manifestations.
E.C : C’est devenu une entreprise familiale ? Raconte-nous.
C.A : J’ai commencé toute seule. Pas très longtemps. Il fallait caler le gros kiosque roulant. C’est très costaud. Pierre, qui était au chômage, est donc venu travailler avec moi assez rapidement. C’est venu tout naturellement. Mon fils, Guillaume, ne trouvant pas d’emploi, est également venu nous aider. Il est arrivé dès la fin de la première année. Aujourd’hui, nous sommes tous les trois à plein-temps grâce à l’entreprise. Quant à mes deux autres filles, elles font des études. Une est doctorante salariée, et la petite dernière a le temps…
E.C : Comment t’y es-tu prise pour débuter ton activité, pour te lancer ?
C.A : Mon mari Pierre m’a beaucoup aidée. Je ne suis pas très chiffres. C’est plus son truc. Avant de me lancer, on est allé interroger des gens dans la rue, un questionnaire qu’on faisait remplir. On a également fait cette démarche devant les lycées, à la sortie des écoles, pour savoir si ça les intéressait. On a vu les résultats. C’était positif. Il a fallu aller voir les monuments de France, pour faire un kiosque qui convenait. Je voulais quelque chose de petit, qui puisse se bouger selon les besoins. Pouvoir bouger selon les possibilités. On a fait un prêt pour lancer notre premier kiosque ambulant. On a également eu des aides de la région. Je ne sais pas si les aides existent toujours, d’ailleurs. Ça nous a permis d’avancer. Sans cela, ça aurait été moins facile. C’est certain.
E.C : À quoi comparerais-tu ton entreprise ?
C.A : Wow ! (rires). Oh ! Je ne sais pas. Ah si. À la mer ! Il y a parfois des tempêtes, des vagues, et parfois, c’est le calme plat. Et puis, il y a des choses qui s’accélèrent d’un seul coup, il faut être à trois endroits à la fois…
E.C : De quoi es-tu le plus fière dans ton parcours d’entrepreneuse ?
C.A : D’avoir réussi à la créer, cette entreprise. C’est une montagne à escalader de créer une entreprise, je trouve. On n’avait pas d’amis sur le secteur, pas de connaissance. On était nouveau dans la région. On s’est coupé de notre famille, de nos enfants restés sur Paris. Et d’avoir réussi à surmonter tout ça… Ça a été dur.
Aussi, il y a une multitude de paperasse. Une multitude, multitude… On a l’impression qu’une fois que l’on a fini une chose, il y en a une autre qui nous tombe sur la tête, puis une troisième… Et paf, encore autre chose. On a l’impression de nager à contre-courant. Il faut vraiment le vouloir pour monter sa boîte. On a fait beaucoup d’heures. Maintenant que j’ai pris un peu de recul, je me dis que c’est vraiment quelque chose. Et j’y suis arrivée.
« Quand il y a des choses à signer ou qu’il y a des questions sur l’entreprise, les gens se tournent naturellement vers mon mari, Pierre. C’est drôle. Et là, mon mari répond : “Ce n’est pas moi la patronne. Demandez à ma femme !” (rires) Et ça me plaît beaucoup. Lui aussi, d’ailleurs. Ça me fait rire à chaque fois. Et mon mari en joue toujours un peu. »
E.C : Quels conseils donnerais-tu à celles et ceux qui voudraient créer leur entreprise ?
C.A : Bien regarder avant de se lancer. Faire attention aux conditions familiales, par exemple. On aurait eu des enfants en bas âge, ça aurait été compliqué, étant loin de nos deux familles. Et on a des horaires qui sont du grand n’importe quoi. Je conseillerais d’avoir beaucoup de soutien. Et puis, il faut être prêt à beaucoup d’inquiétude. Je conseillerais de faire attention quand on se lance, de ne pas se lancer de zéro, sans argent. Ce n’est pas facile à faire, ni à dire. Mais il y a tellement d’imprévus. Une taxe que l’on n’avait pas prévue, une panne, des réparations, des aléas. Il faut y faire face.
E.C : Ce serait à refaire, le referais-tu ?
C.A : Beaucoup de gens de notre entourage nous ont dit qu’on était fou. Complètement fou, parce qu’on était âgé, l’un et l’autre, et qu’on se lançait dans une activité qu’on ne connaissait pas. Et puis, la restauration, c’est beaucoup d’heures de travail, et des coups de stress. Rien n’est jamais acquis. Au départ, j’étais un peu inconsciente. Je crois qu’il faut l’être. Ce serait à refaire, je ne sais pas si je recréerais ma boîte…
Et puis, au fur et à mesure que le temps avance, il y a un peu plus de sécurité. Heureusement. C’est quand même une belle expérience. Ça, c’est sûr. Et, il y a des moments de vrai bonheur. Par exemple, quand des gens nous disent « bravo » avec un sourire. Je pense que j’ai fait le bon choix. Et c’est très stimulant. On est obligé de se remettre en question sans arrêt. C’est ambivalent, en fait. J’ai l’impression d’avoir réussi quelque chose contre vents et marées. Je ne regrette pas. Non, je ne regrette pas.
E.C : Toi qui as créé ton entreprise, Claude, que proposerais-tu pour faciliter l’entrepreneuriat ?
C.A : Nous sommes une toute petite entreprise. Nous sommes microscopiques. Et pourtant, il y a mille et une demandes et démarches administratives à faire. C’est très difficile, lourd, et polluant pour une petite entreprise comme la nôtre. C’est un flux continuel d’ennuis. C’est vécu comme des bâtons dans les roues. Alors que l’on a notre travail à faire à côté. C’est décourageant. Heureusement que mon mari est là, et que l’on travaille en famille, sinon, on ne s’en sortirait pas. Et puis, on peut avoir l’impression d’être des moutons que l’on tond au fur et à mesure.
Sur les cinq dernières années, je ne me suis pas généré de salaire, malgré le temps passé et la fatigue. Je trouve que c’est un peu injuste. Mais j’espère que ça va changer, une fois que les investissements que l’on a faits seront terminés.
J’aimerais que les lois facilitent l’entreprise plutôt que de la contraindre. J’aimerais que l’on supprime toute cette paperasse. J’aimerais que tout soit fait pour favoriser la liberté d’entreprendre.
« Maintenant que j’ai pris un peu de recul, je me dis que c’est vraiment quelque chose et j’y suis arrivée. »
E.C : Après trois emplacements, tu as le projet de te développer. Peux-tu nous raconter ?
C.A : C’est vrai. Je suis contente. L’année dernière, j’avais trouvé un petit local éphémère sur l’île de Ré. On a tout mis aux normes. Et j’y suis allée deux mois, en été, pour tester, pendant que mon mari et mon fils étaient à Angoulême. Ça s’est très bien passé. Du coup, on a le projet d’ouvrir une crêperie là-bas. L’idée étant que j’aille y vivre sur toute la période estivale. En parallèle, mon mari et mon fils continueraient de s’occuper des kiosques d’Angoulême. On revivrait donc une vie d’étudiant (rires). Mon mari viendrait me voir les lundis, pendant cinq mois. Ce serait nécessaire pour pouvoir me payer un salaire. Et puis, j’ai tellement envie et besoin de retrouver la mer. C’est vital pour moi.
« J’ai l’impression d’avoir réussi quelque chose contre vents et marées. Je ne regrette pas. Non, je ne regrette pas. »
E.C : Pour conclure, quelle citation ou quel proverbe te donne de l’élan ?
C.A : « On n’a rien sans rien. » Et, je me souviens, il y a vingt ans, avoir lu un texte qui m’a marquée. Il rappelait que l’on a tout pour être heureux. Alors pourquoi ne pas être heureux ? Relativisons. Quand même, on n’a pas la guerre, on a beaucoup de chance de vivre comme on vit. Et nous, on a de la chance. On fait quelque chose qui nous plaît.